November 20, 202098

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Depuis trois ans, la Croix-Rouge française est engagée dans un profond processus de transformation pour devenir plus agile, plus innovante et plus performante. Elaboration d’une stratégie ambitieuse, Convention des 100, tournée managériale en région, accompagnement des établissements, la dynamique est lancée pour construire collectivement la Croix-Rouge de demain et atteindre un objectif de performance globale, notamment dans les établissements. Interview croisée de Jean-Christophe Combe, directeur général, Muriel Jamot, directrice des métiers et des opérations, et Charlotte Ballero, directrice des ressources humaines.     Texte Anne-Lucie Acar - Photo d'ouverture Joan Bardeletti

Quelles sont les raisons qui ont conduit la Croix-Rouge française à initier ce processus de transformation ?

Jean-Christophe Combe : Alors que les chiffres de l’urgence, de la pauvreté et l’exclusion ne cessent de croître, nous avons le devoir de nous adapter pour continuer à répondre aux besoins des personnes en situation de vulnérabilité. C’est pour cela qu’une « nouvelle Croix-Rouge » émerge, plus solide, plus innovante, plus ouverte et surtout plus efficiente. Afin de relever ces défis, nous avons initié une stratégie de transformation ambitieuse et porteuse de sens. Celle-ci comporte trois grands objectifs : l’autonomie afin d’assurer la pérennité et le développement de l’association ; l’exemplarité pour s’inscrire dans des modèles organisationnels et opérationnels qui correspondent à nos principes et à nos valeurs et, enfin, l’innovation qui permet de maximiser l’impact social de nos activités.

 

Quel est le rôle du management dans le déploiement de cette stratégie globale ?

J.-C. C. : Pour qu’une stratégie soit efficiente, il faut que tout le monde puisse en avoir connaissance et se l’approprie. Il faut réussir à donner envie, à motiver. Les managers sont les mieux placés pour diffuser efficacement cette stratégie auprès des équipes. D’ailleurs, tout est mis en œuvre pour consolider et harmoniser les pratiques managériales au sein de notre association. Notre organisation avance, progresse, se structure et nous avons besoin du management pour porter cette stratégie de transformation.

 

Comment se décline cet objectif de performance globale pour les établissements de la Croix-Rouge française ?

Muriel Jamot : Dans une société en mutation, viser la performance globale est incontournable pour garantir la meilleure qualité de soins et d’accompagnement des personnes. Cette performance globale est constituée de trois dimensions : la performance opérationnelle, la performance économique, la performance managériale et sociale. Ces trois dimensions sont indissociables, interdépendantes et, dans chacune d’entre elles, on va retrouver les trois constantes de la stratégie globale de la Croix-Rouge française : autonomie, exemplarité et innovation. En outre, ces volets de la performance sont partagés par toutes les personnes chargées de s’assurer de leur mise en œuvre : le directeur de l’établissement et ses équipes, le cas échéant le directeur de pôle, le directeur territorial et le directeur régional, ainsi qu’au siège avec la direction des métiers et des opérations, les directions des ressources humaines, des systèmes d’information et celle de l’immobilier et du patrimoine.

 

Pouvez-vous détailler en quelques mots les périmètres de ces trois piliers de la performance globale ?

M.J.: La performance opérationnelle recouvre à la fois la qualité des prestations délivrées au quotidien et la capacité de l’établissement à s’adapter à son environnement et aux exigences des politiques publiques, dans l’objectif de répondre à l’évolution des besoins. La performance économique est ce qui doit permettre aux établissements sanitaires, sociaux et médico-sociaux d’atteindre l’équilibre. En effet, près de 10 millions d’euros sont perdus chaque année. Cette situation déséquilibre les comptes de notre association, nous fragilise auprès des pouvoirs publics et freine nos investissements dans de nouveaux projets sociaux. Il est donc impératif que tous les établissements soient au moins à l’équilibre, voire dégagent un petit excédent, pour financer des projets innovants. Enfin, la performance managériale et sociale concerne le modèle de gestion des ressources humaines. Un établissement ne fonctionne bien que si les managers, directeurs, cadres intermédiaires et médecins communiquent auprès de leurs équipes, les accompagnent au quotidien et dans leurs projets professionnels. Il est aussi essentiel qu’ils parviennent à assurer les activités avec les contraintes qui sont les leurs, tout en partageant des projets mobilisateurs. Ce n’est pas toujours simple à réaliser et c’est pourquoi, dans cette démarche, il est impératif de s’attacher aux fondamentaux du management : le professionnalisme et la bienveillance.

 

Quels ont été les rendez-vous mis en place dans le cadre de cette transformation ?

Charlotte Ballero : Nous avons organisé au Campus, les 10 et 11 octobre 2019, la Convention des 100 qui a rassemblé une centaine de managers de l’association. Cette première convention du management a permis d’expliciter notre stratégie de transformation, de dresser un bilan des réalisations et de donner le calendrier des deux prochaines années. Puis, dans le cadre d’une tournée managériale en région, nous sommes allés à la rencontre des directeurs d’établissements sanitaires, sociaux et médico-sociaux et des responsables des fonctions support pour travailler ensemble sur le partage et la déclinaison de la stratégie, les processus de pilotage des activités, les modèles managériaux et la transformation de l’offre. De la même manière, nous avons mené, avec Marie-Luce Rouxel [ndlr : déléguée nationale de la filière formation] et Jean Christophe Combe, une tournée auprès des IRFSS, concentrée sur ce début d’année 2020. Les enjeux étaient un peu différents du fait de la spécificité de la filière formation mais l’approche et les objectifs étaient les mêmes : nous engager dans un schéma de développement et de transformation, tout en écoutant les remontées du terrain pour adapter le plan de déploiement opérationnel et renforcer l’accompagnement RH des équipes.

Ces différentes rencontres ont-elles permis de faire remonter les besoins des établissements ?

M.J. : Tout à fait. Ces rendez-vous se sont révélés très intéressants et riches en échanges. Lors d’ateliers, nous avons recueilli les besoins des participants, leurs attentes, et nous avons réfléchi ensemble à la suite du processus. Ces moments ont été fédérateurs et chacun a pu voir comment la stratégie des établissements s’inscrit dans une stratégie globale, comment on arrive à mesurer le chemin parcouru et ce qu’il reste à faire ensemble.

 

Des réponses adaptées sont désormais proposées à tous les managers. Pouvez-vous nous en dire plus ?

C.B. : Pour répondre à l’ensemble des besoins identifiés et pour que les managers puissent avoir une vision partagée, un accompagnement spécifique sera mis en place progressivement. Certains dispositifs sont d’ailleurs actifs depuis le début de l’année. Plus précisément, ce renforcement de l’accompagnement RH se traduira par un ensemble d’actions : formation de tous les managers, formation et accompagnement spécifique des managers de proximité, formation pour tous à l’entretien professionnel, parcours de formation labellisés « Haute école Croix-Rouge », mise en œuvre d’une communication régulière et anticipée, introduction d’indicateurs RH dans le système d’information décisionnel, mise en place d’un baromètre social ou encore organisation de sessions d’accompagnement sur le pilotage économique et opérationnel. Notre souhait est aussi plus largement de contribuer à la performance globale, en aidant les établissements et services à progresser sur les sujets organisationnels, sociaux et managériaux. Ces sujets sont souvent liés entre eux, c’est pour cela que nous essayons d’agir sur plusieurs leviers en même temps. Par exemple, le déploiement d’un outil de gestion du temps et de l’activité, en même temps que la recherche de solutions effectives pour stabiliser les effectifs et mieux gérer les besoins de remplacement.

 

Si l’accent a été mis sur le management pour permettre le déploiement de cette stratégie globale, certains dispositifs concerneront-ils l’ensemble des salariés ?

C.B. : Oui, trois nouvelles mesures sont destinées à l’ensemble des équipes : le déploiement des entretiens professionnels bisannuels pour tous, avec un traitement RH adéquat ; la mise en œuvre d’une nouvelle stratégie « Emploi-recrutement », basée sur une gestion des ressources humaines territorialisée, afin de renforcer notre attractivité, de fidéliser nos personnels et de développer leur autonomie professionnelle ; et, enfin, l’accompagnement des salariés au plus près de leurs besoins, qui passe notamment par la mise en place d’un réseau régional d’assistants sociaux, l’accompagnement dans le logement, la mobilité et la prévention des inaptitudes.

Dans ce process, la question de l’évolution des rémunérations s’est-elle posée ?

C.B. : Nous savons que beaucoup aimeraient des revalorisations salariales. C’est une problématique que nous comprenons bien et à laquelle nous travaillons avec la direction générale et les partenaires sociaux. Les marges de manœuvre actuelles sont encore extrêmement contraintes : même si les résultats d’exploitation sont encore négatifs, ils ont progressé depuis deux ans. Et si cela prendra nécessairement un peu de temps, la volonté de la direction générale est très claire : faire évoluer progressivement les salaires à mesure que l’exploitation sera redressée économiquement. En tant que DRH, je comprends que ce discours puisse être difficile à entendre pour les équipes. C’est aussi la raison pour laquelle, au quotidien, nous mettons tout en œuvre pour que, déjà, le cadre de travail soit satisfaisant. Pour reprendre l’exemple de la gestion des remplacements et de la stabilisation des effectifs, tout l’enjeu est de permettre un meilleur suivi des personnes, plus de temps d’échanges et d’analyse de pratiques entre professionnels, et une meilleure gestion de la charge. En définitive, permettre à chacun d’identifier pleinement sa contribution, de trouver du sens dans son travail et d’être reconnu pour ce qu’il apporte.

 

Le processus de transformation est donc lancé. Qu’attendez-vous des prochains mois de cette année 2020 ?

J.-C. C. : Suite à cette tournée de 2019, une tournée en région au sein des instituts de formation vient de s’achever. En effet, la formation et les métiers sanitaires, sociaux et médico-sociaux sont évidemment appelés à se rejoindre dans cet objectif de performance globale. Plus généralement, l’année 2020 nous permettra de définir, tous ensemble, un mode de fonctionnement, c’est-à-dire une véritable colonne vertébrale, souple et adaptable aux spécificités de chaque filière et métier. Cette colonne vertébrale sera différenciante et basée sur une vision commune. Elle nous permettra de revenir aux fondamentaux, à notre vocation et à nos valeurs, pour nous transformer comme nous l’avons toujours fait.

Le label « Haute école Croix-Rouge »

Dans le cadre de la stratégie de transformation, un label « Haute école Croix-Rouge » verra le jour en 2021. Il sera apposé aux formations de la Croix-Rouge française à destination des managers salariés et des responsables bénévoles. En se basant sur l’entretien individuel, l’expérience passée et les compétences de chacun, ce label permettra de bâtir des programmes de formation personnalisés. Le label « Haute école Croix-Rouge » contribuera ainsi à mettre en œuvre la stratégie, promouvoir le modèle de management, définir une culture commune, constituer une vitrine pour la « marque » Croix-Rouge française et développer le niveau de qualité du métier de manager.

7Vers la performance globale des établissements